Guerre en Ukraine : comment des militaires russes qui pilotent des tirs de missiles ont été identifiés
Trois médias ont enquêté pendant six mois pour révéler l'identité d'hommes et de femmes qui planifient des frappes depuis Moscou et Saint-Petersbourg.
Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, le 24 février, des centaines de missiles russes se sont abattus sur le sol ukrainien, y compris sur des bâtiments civils, faisant de nombreuses victimes. Mais qui sont les hommes et les femmes chargés de préparer ces frappes destructrices, à distance, depuis la Russie ? Des médias spécialistes de l'investigation se sont posé la question. Le site Bellingcat (lien en anglais), le média indépendant russe The Insider et l'hebdomadaire allemand Der Spiegel ont publié, lundi 24 octobre, le résultat de six mois d'enquête. En recoupant les données de téléphonie, celles des académies militaires russes accessibles en open source (librement sur internet) ou en fouillant les réseaux sociaux, ils sont parvenus à reconstituer l'organigramme d'une unité chargée du lancement des missiles au sein de l'armée russe.
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Derrière une partie au moins de ces attaques se cache un groupe secret d'une trentaine de personnes que Bellingcat affirme avoir identifiées. Toutes disposent d'un bagage universitaire ou professionnel sur la programmation des missiles. Officiant au sein du Centre de calcul principal de l'état-major général russe, connu sous l'acronyme GVC, elles sont basées à Moscou et à Saint-Petersbourg. Le fondateur du média d'investigation Bellingcat, Eliot Higgins a partagé sur Twitter les identités de ces militaires.
De jeunes ingénieurs militaires
Cette unité est principalement composée de jeunes hommes et femmes, ingénieurs ou informaticiens. "La plupart ont la vingtaine, avec les quatre plus jeunes âgés de seulement 24 ans", détaille Bellingcat. Parmi eux, un couple marié a même été identifié. Tous ont reçu une formation militaire. Certains ont participé à la guerre en Syrie, où la Russie soutient militairement le régime de Bachar Al-Assad, entre 2016 et 2021. L'un d'eux a notamment été repéré, en janvier 2021, au centre de commandement installé par la Russie à Damas : il apparaît à l'arrière-plan d'une photo où le président russe Vladimir Poutine serre la main de son homologue syrien. L'un d'entre eux a aussi reçu un "certificat de gratitude" de la part de Vladimir Poutine en 2020, selon son CV posté en ligne.
"A l'inverse de leurs collègues militaires, qui s'exposent, pour la plupart, à des risques personnels près de la ligne de front, ces jeunes travaillent depuis des centres de commandement sécurisés à Moscou et Saint-Petersbourg, et semblent continuer leur vie sans qu'elle soit affectée par cette guerre dans laquelle ils jouent pourtant un rôle crucial", souligne Bellingcat.
Des appels juste avant les frappes
Pour retrouver les profils, les journalistes ont d'abord analysé les données des académies militaires russes les plus susceptibles d'avoir formé des ingénieurs spécialistes de la balistique. Ils se sont également tourné vers le marché noir russe de vente de données, une source "qui a aidé les journalistes et les militants à réaliser de nombreuses investigations sur l'armée et les services secrets du pays", explique Bellingcat. Le site dit avoir identifié, par ce biais, des diplômés disant travailler pour le GVC, et récupéré des données liées à leurs numéros de téléphone.
Ces données téléphoniques montrent de très nombreux appels dans les heures précédant les tirs de missiles russes. C'est notamment le cas d'une ligne attribuée à un gradé russe, le lieutenant-colonel Igor Bagnyuk. Un membre du GVC, que les journalistes ont contacté, leur a transmis une photo de ce dernier, que le fondateur de Bellingcat a partagée sur Twitter.
Des soldats qui se disent plombier ou fleuriste
Les journalistes ont contacté tous les jeunes militaires qu'ils ont identifiés. Au téléphone, certains ont raccroché sur le coup. D'autres ont confirmé leur identité, mais nié travailler pour l'armée russe, même lorsque les journalistes leur ont envoyé une photo d'eux en uniforme. L'un assure être un plombier indépendant, un autre se dit chauffeur de bus, tandis qu'une troisième prétend travailler comme fleuriste. Les enquêteurs ont aussi retrouvé les profils de ces individus sur les réseaux sociaux, notamment VK, l'équivalent russe de Facebook.
Le journaliste Christo Grozev, auteur de l'article de Bellingcat, raconte sur Twitter son très bref échange avec un des membres de cette unité secrète. "Je lui ai demandé comment il arrivait à dormir la nuit avec ce qu'il faisait. Il a répliqué : 'Soyez professionnel, posez-moi une question professionnelle'. Je lui ai demandé pourquoi ils tuaient autant de civils. Il a écrit : 'Vous savez bien que je ne peux pas répondre à cette question.'"
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