JBS, ce géant brésilien de la viande qui va profiter du traité entre l’Europe et le Mercosur
La multinationale,
principale productrice mondiale de protéines animales, devrait profiter du
traité UE-Mercosur pour accroître sa présence sur le Vieux Continent, qui représentait
7 % de ses exportations en 2024.
Par Anne-Dominique Correa (Rio de
Janeiro, correspondance)
L’usine
de production de viande JBS à Alta Floresta, dans l’Etat du
Mato Grosso,
Si
l’annonce, le 6 décembre, de
la conclusion de l’accord
entre le Mercosur et l’Union
européenne agite les campagnes françaises, au Brésil, JBS sabre le champagne.
La multinationale brésilienne, principale productrice mondiale de protéines
animales, devrait profiter du traité pour accroître sa présence sur le Vieux
Continent, qui a représenté environ 7% de ses exportations en 2024.
L’accord autorise les pays du Mercosur à exporter
99 000 tonnes
supplémentaires de viande bovine, avec un droit de douane réduit à 7,5 %. « JBS
produit la plupart des viandes haut de gamme du Brésil, qui sont les plus prisées
en Europe », analyse Alessandro Francisco Trindade de Oliveira, de l’Institut fédéral du Parana, pour qui le
Brésil « pourrait au moins doubler ses
exportations de viande vers l’Union
européenne ».
De
quoi soutenir le groupe aux 364 milliards de reais (57,48 milliards d’euros) de chiffre d’affaires, qui pèse 13,3 milliards d’euros en Bourse. Ses activités représentent
2,1 % du produit intérieur brut du pays et génèrent 2,73 % des emplois,
selon une étude de la Fondation de l’Institut
de recherche économique publiée en août 2023.
Déforestation
massive
On
est loin de la modeste boucherie familiale fondée en 1953 par les frères José Batista Sobrinho et Juvencio
Batista, deux paysans originaires de Neropolis, dans l’Etat de Goias, dans le centre-ouest du pays. Aujourd’hui, la firme est en mesure d’abattre 75 000 bovins, 14 millions
de volailles et 147 000 porcs par jour. Elle possède plus de 10 unités d’engraissement au Brésil, d’une capacité de 2 millions
de bovins.
Au
Brésil, l’expansion
du secteur agricole a été fortement encouragée durant la dictature
militaire (1964-1985), qui voulait multiplier les élevages dans l’ouest et le nord du pays, notamment
pour « occuper » l’Amazonie
et la soustraire à la convoitise des puissances étrangères, au prix d’une déforestation massive. Mais c’est à partir des années 2000 que JBS,
alors dirigé par Joesley et Wesley Batista, les fils de José Batista
Sobrinho, connaît
un essor international. Le groupe bénéficie du soutien de la Banque nationale
pour le développement économique et social (BNDES) dans le cadre de la
politique industrielle des gouvernements de Luiz Inacio Lula da Silva
(2003-2011) et de Dilma Rousseff (2011-2016), qui cherchaient à promouvoir des « champions nationaux ».
La
BNDES entre au capital de l’entreprise
et injecte 8 milliards de reais en échange du contrôle de 20 % des actions. Cette
manne permet au groupe d’accélérer
son expansion à l’international
avant une entrée en Bourse à Sao Paulo, en 2007. Le groupe concentre aujourd’hui 25 % du marché mondial de la
viande et des abats de bœuf, et opère
dans 17 pays. Et il ne compte pas s’arrêter là : la direction a annoncé, le 21 novembre,
un investissement de 2,5 milliards de dollars (2,38 milliards d’euros) sur cinq ans au Nigeria pour
construire six usines de transformation de volaille, de bœuf et de porc.
Plusieurs
scandales
Au Brésil, l’entreprise a fait l’objet de plusieurs scandales. En 2017, les frères Joesley et Wesley ont avoué avoir versé 400 millions de reais de pots-de-vin à des
politiciens. Deux mois plus tôt, son image avait déjà été entachée par une
autre affaire : l’entreprise
avait été visée par une enquête de la police fédérale sur un système
de corruption qui aurait permis la mise sur le marché de viande avariée, menant l’Union européenne à suspendre les importations issues des
entreprises impliquées.
Si, dans un courriel
adressé au Monde, JBS se défend en précisant qu’à l’époque « aucune de
ses unités n’a été fermée », l’affaire a laissé des traces. Le mercredi
20 novembre, Carrefour a décidé de cesser de vendre
de la viande provenant des pays du Mercosur, évoquant un risque d’« exigences environnementales
et sanitaires moindres », avant de se raviser.
Pour
Allan de Campos, spécialiste de l’impact du secteur
agroalimentaire sur la santé publique à l’université d’Etat
de Sao Paulo, les Européens ont raison de se méfier. Au Brésil, le bétail « est alimenté de maïs et de
soja qui contiennent de fortes quantités de pesticides, comme le glyphosate, et
il subit des traitements antibiotiques », rappelle-t-il. En outre, il assure que les multinationales
ne contrôlent le bétail que lorsqu’il est dans les fermes de
finition, la dernière étape
d’élevage avant l’abattage, ignorant donc les conditions sanitaires des autres
fermes où les animaux naissent et sont engraissés.
Manque de contrôle
Ce manque de contrôle
soulève aussi des
doutes quant à la capacité des multinationales à freiner
la déforestation. Près de la moitié du cheptel brésilien, qui a atteint un record
de 238,6 millions de têtes en 2023, se concentre dans la région amazonienne, où l’élevage extensif est le principal facteur de déforestation : entre 1985 et 2022, 77 % des terres déboisées
ont ainsi été converties en pâturages, selon le
collectif MapBiomas.
Selon le courriel
envoyé au Monde, l’entreprise « interdit les achats issus de propriétés qui déboisent
illégalement » et « évalue quotidiennement des milliers d’exploitations bovines
potentielles à l’aide d’un système de surveillance par satellite ». Mais, faute de contrôle sur ses fournisseurs indirects, JBS reste « l’un des principaux
moteurs de la déforestation » au Brésil, s’inquiète Boris Patentreger, directeur France de l’ONG Mighty Earth, qui calcule que l’entreprise serait responsable « du déboisement de 118 310 hectares de forêt » de
février 2022 à juillet 2024, dont les
trois quarts en Amazonie.
Anne-Dominique
Correa (Rio
de Janeiro, correspondance)
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