LE MONDE
« Cette marée noire, c’est notre Tchernobyl »
La comparaison en dit
long sur l’ampleur du désastre. Dans le Nordeste, depuis la fin du mois d’août,
2 500 kilomètres de côtes ont été souillés par le pétrole. Face au drame,
les Nordestins, dans un extraordinaire élan citoyen, se sont élancés par
milliers vers la mer, agenouillés dans le sable pour nettoyer, gratter,
astiquer la plage, descendant en famille ou par villages entiers – souvent dans
la plus grande confusion. Adultes et parfois enfants s’immergent dans l’eau
poisseuse, poussant à main nue les nappes de pétrole. Des dizaines de cas
d’intoxication ont été rapportés par les hôpitaux.
Malgré le danger, la
mobilisation ne faiblit pas. Au contraire. Car il y a urgence à pallier les
manquements d’un gouvernement jusqu’à présent passif face à la catastrophe, qui
affecte pourtant 9 des 27 Etats de la fédération brésilienne. « Le Nordeste est
puni, car il a voté massivement à gauche, contre Jair Bolsonaro, aux dernières
présidentielles de 2018. Si tout ça arrivait à Rio ou dans le Sud, le pouvoir
agirait, c’est sûr », grommelle Henrique. Officiellement, aujourd’hui, marine et armée sont
mobilisées. « Mais personne ne sait ce qu’ils font exactement. Ici, on ne les a toujours
pas vus arriver ! », se plaint un haut responsable de l’Etat de Bahia.
Omerta sur l’enquête
Car, même si cela semble incroyable,
deux mois après le début de la marée noire, nul ne connaît l’origine du
désastre. S’agit-il d’un « pétrolier fantôme » qui aurait
sombré ? D’un transfert de mazout entre deux navires qui aurait mal
tourné ? D’une plate-forme qui aurait fui ? Nul ne sait. La police
fédérale et la marine maintiennent l’omerta sur l’enquête en cours, qui traîne
en longueur. « Si ça doit prendre
deux cents ans, alors on prendra deux cents ans jusqu’à ce que l’on
trouve [les coupables] »,
a déclaré l’amiral Ilques Barbosa Júnior, chef de la marine brésilienne.
Pour avoir un début de réponse, il faut
rendre visite à Olivia Oliveira, directrice de l’Institut de géoscience à l’université
fédérale de Bahia. Devançant un Etat indifférent, celle-ci a effectué en
octobre un vaste travail de recherche par chromatographie sur des échantillons
de pétrole retrouvés à Bahia. Conclusion : « A priori, on peut affirmer que ce brut proviendrait des bassins
pétrolifères vénézuéliens. Il a “l’empreinte
digitale” typique des roches de
cette région », explique la chercheuse, ajoutant que ce mazout, lourd
et visqueux, se déplaçant en profondeur, aurait « passé au moins deux mois dans l’eau avant d’arriver sur les
côtes ».
Cela ne dit, en
réalité, pas grand-chose sur le déroulé exact des événements, renforçant
cependant l’hypothèse d’un accident survenu sur un navire de contrebande, qui
aurait peut-être tenté d’exporter illégalement du pétrole vénézuélien, visé par
des sanctions américaines. Mais il n’en fallait pas plus pour nourrir les théories
conspirationnistes d’extrême droite, voyant dans la catastrophe en cours une
attaque de Caracas avec – pourquoi pas ? – l’aide d’ONG et même de la
France d’Emmanuel Macron, bête noire de Jair Bolsonaro. Autant de théories ubuesques, pourtant
relayées par les ministres du gouvernement, et jusqu’au président lui-même sur
Twitter.
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