LE MONDE
Le Brésil confronté au retour de la faim
Les spécialistes estiment
que le pays de Jair Bolsonaro a régressé de trente ans sur
cette question. En 1998, comme aujourd’hui, près de 32 millions de Brésiliens
souffraient de la faim.
Par Anne
Vigna(Rio de Janeiro, correspondance)
Publié aujourd’hui à 10h00, mis à jour à 10h34
Le chiffre
est sorti en « une » de
toute la presse brésilienne, mercredi 8 juin : 33,1 millions
de Brésiliens souffrent de la faim, un nombre qui a presque doublé en un an.
Ils étaient 14 millions en décembre 2020, lors de la précédente étude sur le sujet, également menée par le Réseau
brésilien de recherche sur la souveraineté et la sécurité alimentaires et
nutritionnelles (Rede Penssan).
« L’augmentation vertigineuse de ce chiffre nous a
surpris. Aujourd’hui, 15 %
des foyers connaissent la faim, et 30 % des familles sont en insécurité alimentaire.
Cela représente 125 millions
de Brésiliens qui connaissent un certain degré d’insécurité
alimentaire, sur une population totale estimée à 213,3 millions d’habitants »,
explique Ana Maria Segall, professeure en nutrition de l’université de Campinas, membre
du réseau Penssan.
La dégradation de la situation est d’autant
plus regrettable, rappellent les spécialistes, que le Brésil avait fortement réduit
cette extrême pauvreté ces dernières décennies,
au point d’avoir été rayé de la « carte de la faim » par l’Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO), en 2014. A l’époque,
seulement 4,2 % des familles en souffraient encore, grâce à une série de
programmes lancés par les gouvernements du Parti des travailleurs (2003-2015).
« Gestion chaotique de la pandémie de Covid-19 »
L’administration
Bolsonaro ne serait cependant pas la seule responsable de cette détérioration :
sous le gouvernement de son prédécesseur, Michel Temer, le gel pendant vingt
ans des dépenses de l’Etat, inscrit dans la
Constitution, a eu un effet désastreux sur les plus précaires, selon cette étude.
Un exemple parmi d’autres :
le budget pour l’aide à l’alimentation
était de près de 100 millions
d’euros en 2012.
En 2019, il est passé à 7,8 millions, soit une diminution de 93 %.
Aujourd’hui, il a quasi disparu.
En outre, le
Brésil est passé d’une situation de quasi-plein
emploi en 2014, avec 4,8 % de chômage, contre 10 % en 2016
et près de 13 %
actuellement. « La gestion chaotique de la pandémie [de
Covid-19] a fortement augmenté l’endettement
des ménages, qui doivent payer d’autres dépenses, comme le loyer, avant de s’alimenter », observe Ana Maria Segall.
Lire
aussi : Au Brésil ,
12 millions de familles mangent grâce à une bourse
La mise en œuvre
d’une nouvelle aide sociale – Auxilio Brasil (Aide Brésil),
au lieu de Bolsa Familia (Bourse Famille) – par l’actuel
gouvernement, en novembre 2021, n’a eu
aucun effet sur l’extrême pauvreté, même si son
montant a presque doublé. « Le cadastre n’intègre
pas les nouvelles familles et l’inflation sur les aliments rend caduque l’augmentation
de son montant », se
désole encore la spécialiste.
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