En pleine crise ukrainienne, l'intrigante visite de Jair Bolsonaro à Moscou
DÉCRYPTAGE - Le président brésilien, privé du «parrainage» de Donald Trump, se rapproche de Vladimir Poutine.
Mais que va donc faire Jair Bolsonaro à Moscou ? Au moment où les Occidentaux craignent que les menaces d'invasion de l'Ukraine par la Russie dégénèrent en conflit armé, le président brésilien rencontre ce mercredi son homologue russe, Vladimir Poutine, au Kremlin. Pour aider à faire baisser la tension alors que la diplomatie brésilienne a une longue tradition d'équilibre entre les grandes puissances ? Non : officiellement, pour parler de commerce et d'importation d'engrais.
Ce n'est donc pas le fond des discussions mais bien le symbole d'une poignée de main entre les deux leaders autoritaires qui suscite la polémique et interroge sur les réels motifs de ce voyage très controversé, au cours duquel Jair Bolsonaro doit aussi se rendre à Budapest pour y rencontrer son ami, le premier ministre ultraconservateur Viktor Orban. Une visite qui irrite Washington et vient contrecarrer ses efforts pour isoler Vladimir Poutine quand sa stratégie semble porter de premiers fruits avec un début de désescalade russe. Ignoré par les États-Unis et les Européens, le président brésilien a rapidement accepté à la fin de l'année dernière l'invitation faite par le Kremlin, une des rares à parvenir sur son bureau.
Après s'être opposé, sans succès, à cette visite, le Département d'État américain a rappelé à l'ordre son voisin sud-américain. « Le Brésil a la responsabilité de défendre les principes démocratiques et de protéger un ordre fondé sur des règles, et de faire passer avec force ce message à la Russie dans toutes les occasions. » D'autant que le plus grand pays d'Amérique latine bénéficie depuis 2019, avec le soutien de Donald Trump, du statut d'allié majeur non membre de l'Otan, et est aussi, depuis cette année, membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Jair Bolsonaro, qui a toujours refusé de se faire vacciner, devra se soumettre à une série de cinq tests avant de rencontrer son hôte au Kremlin pour un entretien suivi d'un déjeuner, plat de résistance d'un programme dont le reste tient en une ligne : rencontre avec le président de la Douma (Parlement) et participation à une réunion d'entrepreneurs russes et brésiliens.
Pas d'Ukraine au menu – sauf si Vladimir Poutine soulève la question, disent les Brésiliens – mais un agenda centré sur le commerce. Le Brésil souhaite rééquilibrer des échanges très déficitaires avec son partenaire des Brics, le groupe des grands pays émergents : il exporte des produits agricoles et importe surtout des engrais, cruciaux pour son puissant agronégoce. « Nous faisons des affaires avec eux (les Russes, NDLR), du commerce. Notre agrobusiness dépend en grande partie de leurs engrais », a justifié Jair Bolsonaro avant de s'envoler pour Moscou. Pour éviter la guerre, c'est à Dieu que Jair Bolsonaro s'en remet. « Nous implorons Dieu pour que règne la paix dans le monde pour le bien de tous. »
« Le timing est le pire possible », estime l'historien et professeur de relations internationales à l'université de Sao Paulo, Felipe Loureiro. « Aller là-bas en ce moment me paraît très téméraire et irresponsable. Cela sera très négatif pour l'image du Brésil et très dangereux », a ajouté le chercheur, soulignant le caractère « imprévisible » de Bolsonaro, connu pour ses propos à l'emporte-pièce.
Le fait que Bolsonaro aille en Russie, et pas en Ukraine en ce moment de tension, passe indirectement pour un signal de soutien » à Poutine, relève de son côté Mauricio Santoro, professeur de relations internationales à l'université d'État de Rio de Janeiro. « Dans le scénario actuel, Poutine va utiliser cette visite comme un instrument de propagande pour montrer que la Russie n'est pas isolée internationalement et qu'elle peut dialoguer avec l'Amérique latine », ancienne chasse gardée des États-Unis où Moscou, comme la Chine, place ses pions. Vladimir Poutine vient ainsi de recevoir le président argentin, Alberto Fernandez, en route vers Pékin. La Russie possède déjà une solide base d'appui avec le Venezuela de Nicolas Maduro.
Orphelin de Trump, le dirigeant brésilien a-t-il trouvé un nouveau mentor dans Poutine ? « Je suis très inquiet par la possibilité que la Russie offre (à Bolsonaro) son savoir-faire en matière de désinformation, de manipulation électorale, de piratage d'internet », alors que Bolsonaro est donné perdant face à l'ex-président de gauche Lula à l'élection présidentielle d'octobre, dit Felipe Loureiro. « J'y vois le principal intérêt de la visite de Bolsonaro en Russie, beaucoup plus que la question des intérêts économiques. »
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